Avoir quelque chose à se mettre sous les yeux surtout ! Petite fille quand je regardais par la fenêtre de ma chambre au dernier étage de la maison, je voyais d'en haut le jardin du voisin, la ligne SNCF à l'horizon, le ciel à peine. Rien. Je me penchais de chaque côté pour essayer d'attraper un peu plus et je regardais ce vide pendant des heures, des heures d'ennui intense à scruter chaque détail. Aucun sens, juste ça. C'était triste. Toujours pareil. C'était plein aussi : l'ordre choisi du jardiner qui alignait ses poireaux et ses fleurs, un chemin de fer vers l'ailleurs, une fenêtre qui me renvoyait tous yeux ouverts à un réel fade et étroitement encadré. Cet ordre à bousculer et ce possible départ combinés à mon désir scrutateur m'ont permis de supporter l'attente.
Regarder, regarder sans cesse la moindre chose. J'ai tout absorbé par les yeux. Pas de souvenirs de bruit. Ma mère était sourde. Par solidarité je n'ai pas eu le droit d'entendre. Pas de « madeleine » non plus. Les yeux seulement écarquillés. Enregistrer chaque grain de réel comme une nourriture concrète de l'esprit, toucher des yeux, imprimer en soi ce qui se donne à voir. Pas imaginer, pas inventer, échapper à l'illusoire d'un autre part, juste rester les yeux sur terre, s'accrocher à la plénitude des choses. Les regarder car je ne les connais pas.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.